Entretien avec Marylou Mantel – Projet CLIO, sur la dernière phase d’une étude, sur la compréhension du plaisir, menée pendant trois ans.

Fonds de Dotation Per Fumum : Quels sont, selon vous, les résultats les plus marquants ou inattendus de cette dernière phase dédiée aux facteurs sociaux ?

Marylou Mantel : “Cette phase avait pour objectif d’examiner comment le contexte social notamment la connaissance des préférences d’autres personnes peut influencer la préférence olfactive, et comment cela interagit avec le profil génétique lié au récepteur olfactif de la bêta-ionone.

Contrairement aux phases précédentes, le stimulus évalué n’était pas un parfum mais un jus de fruit contenant ou non de la bêta-ionone. Ce choix faisait suite à une étude pilote suggérant que l’effet du profil génétique sur les préférences olfactives est plus marqué avec ce type de produit alimentaire qu’avec un parfum.

Notre premier objectif était de confirmer l’existence d’une différence de préférence selon le génotype. Cet effet n’a pas été retrouvé, ce qui a été surprenant. Cela pourrait s’expliquer par des différences mineures dans le protocole ou par un simple hasard statistique.

Le second objectif consistait à mesurer l’effet d’une norme sociale. Un groupe recevait l’information selon laquelle 80 % des participants précédents avaient préféré un échantillon particulier ; l’autre groupe recevait une information non pertinente. Là encore, aucune différence de préférence n’a été observée, même si les participants avaient bien noté l’information fournie, indiquant que la norme sociale présentée (80 % de préférences supposées) n’a pas eu d’effet sur les préférences individuelles.”

Fonds de Dotation Per Fumum : Quels liens avez-vous pu établir entre sensibilité génétique, réponses cérébrales et influence sociale dans la perception hédonique des odeurs ?

Marylou Mantel : “La phase 1 a permis de démontrer l’existence de différences de préférence pour des parfums contenant divers niveaux de bêta-ionone selon le génotype du récepteur olfactif.

Les données d’imagerie cérébrale de la phase 2 sont encore en cours d’analyse : il est donc trop tôt pour conclure.

Concernant l’interaction entre génétique et contexte social (phase 3), les résultats obtenus ne permettent pas pour l’instant de conclure. L’absence d’effet ouvre néanmoins la voie à de nouveaux protocoles plus sensibles, notamment en réutilisant des parfums (comme en phase 1) et en renforçant la valeur de la norme sociale manipulée par exemple en associant la prétendue préférence à un expert plutôt qu’à des pairs.”

Fonds de Dotation Per Fumum : La molécule de bêta-ionone a été centrale dans l’étude : avez-vous observé une influence sociale différente selon le profil génétique ?

Marylou Mantel : “Non, pas dans cette phase. Aucune influence du profil génétique n’a été retrouvée sur la préférence pour les stimuli utilisés, que l’on tienne compte ou non du contexte social.”

Fonds de Dotation Per Fumum : Quelles ont été les principales difficultés rencontrées dans la mise en place expérimentale de cette phase sociale ?

Marylou Mantel : “La difficulté majeure concernait la manipulation du contexte social.
Une approche écologique confronter directement un participant à un groupe exprimant ses préférences introduit de nombreuses variables difficiles à contrôler (personnalités, charisme, dynamique sociale…). Pour limiter ces biais, nous avons opté pour une manipulation minimale et standardisée : une simple information écrite, comme dans d’autres travaux du domaine.

Cela permet de maîtriser précisément la variable manipulée, mais au détriment du réalisme. Cette étape reste néanmoins essentielle, compte tenu du caractère encore exploratoire de notre question de recherche.”

Fonds de Dotation Per Fumum : En quoi le caractère interdisciplinaire du projet a-t-il enrichi votre compréhension du plaisir olfactif ?

Marylou Mantel : “Cette approche croisant génétique, neurosciences et psychologie sociale a révélé la complexité des facteurs influençant les préférences olfactives et l’importance d’étudier leurs interactions.

Elle a également permis de mettre en place des méthodologies adaptées à des phénomènes très différents : perception sensorielle, variabilité individuelle, comportements sociaux.

Nous travaillons déjà à de nouveaux protocoles, avec un intérêt particulier pour les interactions entre contexte social et facteurs génétiques.”

Fonds de Dotation Per Fumum : Après trois ans de recherches, quels enseignements retenir pour les parfumeurs et les acteurs de la parfumerie ?

Marylou Mantel : “Le principal enseignement concerne le rôle du profil génétique.
On savait déjà que les variations du gène codant le récepteur de la bêta-ionone modifient sa perception et son évaluation hédonique. Il avait été suggéré qu’elles influencent aussi les préférences alimentaires. La nouveauté de ce projet est de montrer que ces variations peuvent également être associées à la préférence pour des parfums construits à partir d’une formule professionnelle.

Or, les profils génétiques associés à une faible sensibilité à la bêta-ionone peuvent concerner jusqu’à la moitié de la population : un enjeu non négligeable pour la parfumerie. Certaines molécules utilisées (par exemple des muscs) sont déjà connues pour présenter des variations perceptives génétiquement déterminées. Ces différences peuvent affecter la perception de mélanges complexes, tant pour les formulateurs eux-mêmes que pour les consommateurs.

Ce projet ne vise pas à exagérer le poids de la génétique dans la création ou l’appréciation d’un parfum, mais à souligner qu’elle fait partie d’un ensemble de facteurs multiples biologiques, physiologiques, cognitifs, sociaux qui influencent l’évaluation olfactive.”

Fonds de Dotation Per Fumum : Comment envisagez-vous l’après-CLIO ?

Marylou Mantel : “Nous développons actuellement un nouveau protocole pour explorer autrement l’articulation entre génétique et contexte social.

Le projet CLIO a permis de structurer un réseau de recherche interdisciplinaire associant plusieurs laboratoires et plusieurs domaines (psychologie sociale, neurosciences, génétique). Ce réseau nous permettra de poursuivre l’exploration de ces interactions complexes, que ce soit autour de la bêta-ionone ou d’autres questions plus larges.”

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